Elle jeta ses yeux dans le fleuve et le fleuve les prit.
Elle jeta son cœur dans le lac et le lac le prit.
Elle planta ses dents dans la glace et la glace les prit.
Épuisée,
Elle se rasa la tête et noua ses cheveux pour en faire un lit.
Elle dormit plusieurs années.
Elle se réveilla sans yeux, sans cœur, sans dents.
Ses cheveux avaient repoussé ; ils étaient à nouveau férocement noués et formaient un tronc dur.
Pour les passants, cet arbre à l’écorce rigoureusement marquée fut une âme qui avait eu, il y a longtemps, trop de peine.
La distorsion du réel est telle que l’étrange habite tout entier ce recueil incantatoire. La poésie contée de Conjurations explore la fragmentation de l’identité comme celle de la langue : sa lecture est une traversée des espaces et des temporalités de plusieurs personnages travaillant leurs propres limites spatiales, temporelles, affectives. Ici, plus jamais une femme qui se tient debout n’est décrite comme hystérique : c’est une sorcière assumée qui œuvre parmi le chaos du monde et de l’intime pour récupérer sa voix et son histoire contre ceux qui veillent à l’en dépouiller. Et c’est bien là le point de départ d’un imaginaire hybride où chaque mot est une invocation frappante au brouillage des frontières, à la désinvolture et à la résistance.
Illustration de couverture : Mica Tzara, Self portrait with threads, 2017.
14 euros
108 pages
13 x 19 cm
ISBN : 978-2-9567735-8-0
Paru le 24/09/2021